CHAPITRE VII

 

Une queue impressionnante s’étendait sur le trottoir, devant le Bronze.

Ce n’était pas un club chic, constata aussitôt Buffy, mais plutôt un bouge, ce qui n’avait rien pour lui déplaire. Le bâtiment gothique, un peu décrépit, faisait un plaisant contraste avec la foule de lycéens et d’étudiants vêtus à la dernière mode qui se pressaient pour y entrer.

Ici, personne ne soumettait les gens à un questionnaire pour déterminer s’ils étaient cools : il suffisait de payer quatre dollars pour avoir le droit d’entrer et se faire tamponner la main si on était assez âgé pour boire de l’alcool.

Buffy chercha du regard un visage familier. Sans succès.

Le Bronze était bruyant, enfumé et totalement bondé. Un groupe de musiciens se déchaînaient sur la scène, mais la foule semblait plutôt bon enfant. Une partie des lycéens étaient assis dans la salle du fond, qui faisait office de bar ; d’autres s’étaient installés en couples aux petites tables de la mezzanine.

Buffy se fraya un chemin parmi les amateurs de musique, toujours à la recherche de quelqu’un qu’elle connaissait… Cordélia, par exemple. Son regard croisa celui d’un jeune homme très mignon, qui lui fit un signe de la main.

Buffy allait le lui rendre quand elle comprit qu’il était destiné à une fille debout derrière elle. Embarrassée, elle porta sa main à ses cheveux, comme si elle voulait réarranger sa coiffure.

Elle fut soulagée de repérer Willow, assise au comptoir. La jeune fille commandait timidement un soda ; Buffy se hâta de la rejoindre.

— Salut ! sourit-elle.

— Oh ! Salut ! répondit Willow, l’air à la fois surprise, contente… et complètement à côté de ses pompes avec son chemisier à col Peter Pan et son gros pull.

— Tu es venue avec quelqu’un ? demanda Buffy.

— Non. (Willow rougit.) Je pensais qu’Alex serait là…

— Vous sortez ensemble ?

La jeune fille secoua la tête.

— Nous sommes seulement amis. (Elle marqua une pause, puis ajouta :) En réalité, on sortait ensemble autrefois, mais on a rompu.

— Pourquoi ?

— Il m’avait volé ma Barbie. (Alors que Buffy fronçait les sourcils, Willow expliqua :) On avait cinq ans.

— Je vois.

— Ça fait un moment que je n’ai pas eu de petit ami, soupira la jeune fille.

— Pourquoi ça ?

Willow grimaça.

— Chaque fois que je suis avec un garçon, je ne trouve rien de cool ou de marrant à raconter. J’arrive à bafouiller quelques mots, et ça s’arrête là.

Buffy ne put s’empêcher de rire.

— Ce n’est pas si terrible.

— Si. Les garçons préfèrent les filles capables de terminer une phrase.

— Tu as raison : ça fait un moment que tu n’as pas eu de petit ami.

— Il est facile pour toi de dire ça, murmura Willow sur un ton plein de reproches. Tu ne dois pas avoir de mal à te trouver quelqu’un.

— Tu crois ça ? grogna Buffy.

— Tu n’as pas l’air trop timide. Et tu sais t’habiller toute seule.

— C’est à cause de ma philosophie. Tu veux que je t’explique ?

— Volontiers.

— La vie est courte.

Willow haussa les sourcils.

— « La vie est courte », répéta-t-elle.

Buffy haussa les épaules.

— Rien de très original, je te l’accorde. Mais ça n’en reste pas moins vrai. Pourquoi perdre du temps à être timide ? Pourquoi te demander si un type ne va pas te rire au nez ? C’est de l’énergie gaspillée. Profite du moment présent, parce que demain, tu seras peut-être morte.

Willow eut un sourire crispé.

— Je vois.

Buffy balaya la foule du regard. Apercevant un homme accoudé à la rambarde de la mezzanine, au-dessus d’elle, elle se renfrogna.

— Je reviens dans une minute, promit-elle.

— Ça va, lui assura Willow. Je m’en sortirai toute seule.

Buffy sourit et secoua la tête.

— J’ai dit : je reviens dans une minute, insista-t-elle.

Elle ignorait si Willow l’avait entendue ou non. Quand elle plongea à nouveau dans la foule, la jeune fille, la tête baissée, répétait d’un air pensif : « Profite du moment présent… »

Il ne fallut pas longtemps à Buffy pour trouver l’escalier. Elle monta jusqu’à la mezzanine et se faufila le long de la rambarde. L’air nonchalant, elle s’y accouda sans jeter un regard à Giles.

— Alors comme ça, vous aimez faire la fête avec les étudiants, plaisanta Buffy. Vous n’êtes pas un peu vieux ?

— Si vous croyez que ça m’amuse, répondit sèchement Giles, les yeux rivés sur la scène. Regarder se déhancher des jeunes gens déguisés en clowns ne correspond pas à mon idée d’une soirée agréable. Je préférerais être chez moi avec un bon livre et une infusion.

Buffy leva les yeux au ciel.

— Vous êtes un vrai boute-en-train !

— Ce genre d’endroit est un parfait terrain de chasse pour les vampires, l’admonesta Giles. Il fait sombre, les gens se conduisent bizarrement… Et puis, je me doutais que vous viendriez. Vous devez comprendre que…

— Que la Moisson est proche, je sais. Votre ami me l’a déjà dit.

Giles fut pris au dépourvu par cette remarque. Etonné, il dévisagea Buffy.

— De quoi parlez-vous ?

— De la Moisson, répéta la jeune fille plus lentement. J’espère que ça signifie quelque chose pour vous, parce que moi…

— Qui vous a dit ça ?

Buffy se remémora la confrontation dans la ruelle.

— Un type, sur le chemin pour venir ici. Grand, plutôt séduisant. Je pensais que vous le connaissiez.

— Non. La Moisson ? marmonna-t-il. A-t-il ajouté autre chose ?

— Il a parlé de la bouche de l’enfer, je crois. Je ne me sentais pas à l’aise en sa présence.

Un moment, Buffy et Giles contemplèrent en silence les jeunes gens qui se trémoussaient sur la piste de danse.

— Regardez ça, soupira le bibliothécaire, agacé. Les innocents ! Ils n’ont pas conscience du danger qui les entoure.

— Les bienheureux, corrigea Buffy.

— Vous avez peut-être raison. Il se peut que je m’inquiète pour rien, et qu’aucun événement ne se prépare, concéda Giles. Après tout, vous n’avez pas commencé à faire des cauchemars…

Une ombre passa sur le visage de Buffy, qui ne répondit pas.